Chronique d’une soutenance de thèse
Publié leLe 25 mai dernier, j’ai eu la joie de soutenir ma thèse de doctorat en géographie. Je n’ai pas pu rêver d’une meilleure soutenance : un jury de qualité, des échanges scientifiques stimulants et ouvrant de nouvelles perspectives de recherches. Ce fut un moment magique, et paradoxalement, j’étais détendu le jour J. J’ai essayé d’avoir un bon état d’esprit : ce n’était pas un examen, mais l’occasion de défendre mon travail et d’échanger avec d’autres chercheurs.
Je voulais revenir sur la préparation de cette journée, en guise d’archive, mais aussi de témoignage et retour d’expérience pour les doctorant⋅es souhaitant savoir comment se passe cet évènement attendu.
La soutenance de thèse, en effet, illustre très bien un processus intrinsèque du monde scientifique : l’évaluation par les pairs, c’est-à-dire qu’ils jugent mes travaux de manière critique par d’autres chercheurs, qui vont pointer les points forts (tel aspect apporte un éclairage intéressant), ou les points faibles (ce qu’il faudrait améliorer pour renforcer l’argumentation). Cette soutenance se déroule face à un jury composé du directeur doctoral1, de rapporteurs2 et d’examinateurs3. C’est un véritable rite initiatique permettant de devenir pleinement chercheur4, et clôturant, du moins formellement, ma formation de la recherche par la recherche.
Le choix du jury avait été fait en amont, un mois avant le dépôt du manuscrit (courant février), et pour lequel on avait fixé une date et réservé une salle. Le choix a fait l’objet d’arbitrage avec mon directeur doctoral, entre ses recommandations (il faut absolument untel, spécialiste du sujet), les personnes ne pouvant pas, et mes propositions (j’ai regardé les jurys de thèses similaires). Une fois le jury constitué, j’ai envoyé la liste à l’école doctorale. Le 31 mars, j’avais déposé mon manuscrit, comme convenu dans mon programme prévisionnel — je ne suis pas peu fier d’avoir respecté à la lettre le programme. À partir de là, il me restait alors à préparer la soutenance de thèse : j’ai alors un peu moins de deux mois avant de soutenir.

La thèse a été envoyée aux rapporteurs, cela signifiait que mes propositions scientifiques — le manuscrit de thèse — allaient devoir faire l’objet de critiques d’experts, qui ont lu et décortiqué le manuscrit, en proposant une lecture critique, afin d’évaluer la qualité scientifique. Ces derniers vont alors renvoyer des rapports, des textes entre quatre à cinq pages, qui vont revenir sur ma thèse, pointant les apports et des limites. Ces derniers vont alors donner un avis l’autorisation de soutenance : est-ce que mon travail répond aux exigences scientifiques suffisantes ? Ces rapports vont constituer des éléments précieux de critiques, qui vont servir à la préparation de la soutenance. Une fois les rapports reçus, ils sont envoyés au président de l’université, donnant l’autorisation de soutenir.
En parallèle, je dois préparer ma soutenance, c’est-à-dire défendre, de manière orale, mes propositions scientifiques. Je dois argumenter sur la pertinence de mes choix, sur mes thèses (= mes conclusions). Cette préparation passe par l’écriture de ma présentation de soutenance, fondé sur les rapports, en anticipant les éventuelles critiques. Il faut se préparer à l’oral, et à anticiper les questions, à travers une soutenance blanche, c’est-à-dire une grande répétition devant les collègues. Ma présentation reprenait un plan relativement classique : présentation du contexte, de ma question de recherche, du cadre théorique, de la méthodologie, des terrains, des principaux résultats, conclusions, limites et perspectives. J’ai réalisé un diaporama, permettant de rendre plus visuel mon propos. Je l’ai préparé en faisant plusieurs soutenances blanches, devant des collègues, m’aiguillant sur des éléments peu clairs (structure de la présentation, mise en page du diaporama, etc.).
La préparation est également logistique : envoyer les invitations à la famille et aux ami⋅es, préparer la salle, gérer la visio-conférence (qui était source de stress), choisir ses plus beaux habits et surtout préparer le fameux pot de thèse. J’ai essayé de particulièrement soigner ce dernier — surtout après avoir fait un teasing auprès de mes collègues — pour pouvoir finir en beauté et de manière conviviale. J’ai essayé de m’approvisionner auprès de boutiques auquel j’avais apprécié y aller durant mon séjour à Pau : un hommage à l’économie locale et aux produits de qualité.

Arrive alors le jour J : un grand ballet où tout se met en place : préparation de la salle de soutenance (déplacer chaises et tables, gestion de la visio) et celle du pot (avec l’aide de la famille et des collègues).
Puis vient la soutenance, en trois temps. Je déroule ma présentation durant une vingtaine de minutes. Ensuite, Mon directeur de thèse me présente et raconte nos relations de travail, mon implication dans la vie du laboratoire et au sein du projet de recherche — bref des éléments de contexte. Chaque membre du jury a entre vingt et trente minutes pour poser des questions et donner ses impressions sur la thèse, en cherchant les failles de mon raisonnement, pour éprouver sa solidité. Je note les questions et remarques du jury — sur l’ordinateur, pour écrire plus vite — et des pistes de réponses. Je dois alors répondre de manière précise, mais concise aux questions : un équilibre difficile à trouver. Si de l’extérieur cela peut apparaître comme une joute verbale cordiale, mais relativement énergique, voire un peu violente, cela est cependant inhérent aux débats scientifiques. En parallèle collègue et laboratoire « live-tweet » ma soutenance.
C’est intense, trois heures à se concentrer. Puis c’est l’heure de la délibération : on doit sortir de la salle. Un quart d’heure — paraissant une éternité — où on peut souffler tout en ayant un certain suspens. Puis proclamation des résultats « Félicitations, vous êtes docteur », et lecture du procès-verbal. Puis, je dois lire le fameux serment du doctorat. Applaudissements, puis on va profiter du pot, où collègues, ami⋅es et famille me félicitent, et où je peux souffler un peu et relâcher la tension.
Voilà, je suis docteur en géographie. Mais le travail ne s’arrête pas là : Je profite pour annoncer la nouvelle sur les réseaux sociaux. Je dois également corriger, dans les trois mois suivant ma soutenance, le manuscrit avant la publication finale, et un an plus tard, je récupérerai mon diplôme.
Pour ceux que ça intéresse, voici différents documents (j’éditerai pour les mettre en ligne) :
- Notes de la présentation et diaporama
- Le manuscrit de thèse dans sa version publiée
Je reprends ici la dénomination proposée par la Confédération des jeunes chercheurs, l’expérience doctorale ne se limitant pas à la thèse.↩︎
Membres du jury possédant habilitation à diriger les recherches recevant en premier le manuscrit de thèse.↩︎
Membres du jury lisant la thèse, sans faire de rapports. Ils reçoivent le manuscrit une fois l’autorisation de soutenance accordée.↩︎
S’il est difficile de dire de quoi l’avenir sera fait, j’aime me dire que je serais chercheur, indépendant d’un poste dans le milieu académique. Je suis reconnu par mes pairs, et j’ai acquis la méthode et la discipline pour cet exercice. Cela m’enlève un poids quant à l’avenir et à la suite de ma carrière professionnelle : jusqu’à là — et dans une certaine limite —, mon avancé dépendait de moi. Pour le reste, cela dépendra surtout des opportunités qui se présenteront : à moi de les saisir.↩︎