Dans l’ordinateur d’un doctorant géographe libriste

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Introduction : une chaine de travail libre ?

Il y a quelque temps, Akhesa proposait de montrer une « chaine de travail » et les différents outils utilisés au quotidien dans le cadre de son travail de recherche. Au-delà de l’intérêt réflexif sur ses propres pratiques (ce que démontre bien Akhesa), et de clarifier ses positionnements méthodologiques et épistémiques (choisir une méthode, c’est choisir un positionnement disciplinaire), c’est aussi une manière de montrer les « cuisines » de la recherche, et de partager plus facilement avec ses pairs ses pratiques. J’essaye donc, à mon tour, à l’exercice de présentation de mes outils de travail.

L’informatique a une place prépondérante dans ma vie, une extension de ma pensée. En ce sens, il fait de moi littéralement un « cyborg ». J’ai une relation assez particulière avec l’informatique : ayant baigné dedans tout petit, et ayant une certaine appétence au bricolage, j’aime développer des petits outils (des « scripts »), qui certes rudimentaires, me simplifie le travail. J’essaye de travailler en fainéant intelligent, en essayant d’automatiser les tâches ingrates.

De plus, j’essaye au maximum d’utiliser des logiciels libres. Il y a bien sûr un aspect militant comme la maitrise des outils (voir les outils conviviaux d’Illich). Néanmoins, il y a également un aspect plus pragmatique : en tant que jeune chercheur, amené à être relativement précaire et à naviguer de laboratoire en laboratoire, je peux difficilement assumer le cout d’abonnement de logiciels onéreux. Je suis ainsi obligé de trouver des alternatives. Le corollaire est la reproductibilité : puisque ce sont des logiciels libres, et gratuits le plus souvent (mais on peut faire un don aux développeurs !), cela permet une plus facile reproductibilité des analyses, tout à chacun pouvant installer le logiciel sur son ordinateur.

Je tiens à faire un avertissement pour ceux qui souhaitent reproduire ma chaine de travail : mon ordinateur est sous Linux Mint, il se peut que certains logiciels soient plus difficiles à installer sous Windows ou macOS.

Présentation de ma chaine de travail

Collecter et formater ses données : retranscriptions et reformatage

Dans le cadre de mes recherches, j’utilise tant des méthodes quantitatives que qualitatives. Ainsi, parmi lesquels je constitue un certain nombre de corpus, notamment issue de la presse. J’ai ainsi développé un certain nombre de scripts, en Python, R et PHP (différents langages de programmation), afin de convertir, transformer, formater en différents formats, pour permettre ensuite une analyse. Mes usages sont variés et sont le fruit d’expérimentation : un export en HTML d’Europresse est transformé en fichier CSV ; un scrapping de pages pour collecter des articles ; une interface pour stocker dans une base de données SQLite. Ces quelques exemples montrent des cas d’usages que je peux faire de ces outils. Il se peut que je m’amuse à convertir dans différents formats ou à manipuler des PDF avec ffmpeg, Poppler ou Pandoc. Même si on s’approche plus du bricolage (je maitrise plus facilement PHP que R ou Python), tout cela s’inscrit au sein des humanités numériques. C’est la conséquence tant d’un besoin (automatiser), que d’une appétence à réaliser des petits hacks (bricolages) que je réalise déjà pour des projets personnels.

Dans un autre registre, j’utilise également des méthodes qualitatives. Je fais pour cela de nombreux entretiens semi-directifs. Pour permettre une analyse plus facile, je le transforme en texte à travers la retranscription. J’utilise Parlatype, qui a le mérite de s’interfacer parfaitement avec LibreOffice, et dont le contrôle peut se faire au clavier. Le logiciel est simple, mais fait le travail. Malheureusement, ce logiciel ne fonctionne que sous Linux : pour macOS et Windows, je recommande d’utiliser l’interface de retranscription interne à QualCoder.

Analyser des données avec QualCoder, Iramuteq, QGIS

J’utilise QualCoder depuis ma deuxième année de master. Ce logiciel est un « CAQDAS » c’est-à-dire un logiciel d’analyse de données qualitatives assistées par ordinateur. On va rassembler son corpus (retranscriptions, ou autres données, en format texte, audio, vidéo ou image). On attribue ensuite des « codes » à des fragments, c’est-à-dire qu’on va assigner des catégories sur des éléments. Ce travail de thématisation permet d’analyser nos données selon des méthodes qualitatives.

Iramuteq (Interface de R pour les Analyses Multidimensionnelles de Textes et de Questionnaires) est un logiciel d’analyse lexicométrique. Il analyse de manière quantitative un texte, notamment en utilisant la « méthode de classification de Reinert ». De manière simplifiée, ce logiciel va faire une analyse statistique sur la cooccurrence des mots. Cela va permettre de définir des classes d’« univers sémantiques » utilisés dans notre corpus. Je l’utilise principalement dans mes corpus de presse, afin de caractériser les controverses.

En tant que géographe, je ne peux pas faire l’impasse sur QGIS. Ce logiciel est un système d’information géographique. Il me permet notamment de réaliser de belles cartes.

Ces trois logiciels me permettent de traiter différentes facettes d’analyses : qualitative, quantitative et spatiale. Ils sont complémentaires. J’utilise parfois également des scripts R pour faire des analyses statistiques, même si cela reste pour l’instant rudimentaire, faute de pouvoir y consacrer plus de temps. Mais cela reste une piste d’apprentissage potentielle.

Prendre des notes et organiser sa pensée avec Zettlr

En guise de logiciel de prise de notes, j’utilise Zettlr. De manière simple, on peut dire que c’est un logiciel de prise de notes en markdown, qui peut convertir en plusieurs formats (HTML, ODT, DOCX, PDF, etc.), et qui s’interface avec un logiciel de gestion bibliographique. Il présente l’intérêt également d’implanter le concept de Zettelkasten, c’est-à-dire une prise de notes « atomiques » et interreliées. Je n’ai pas encore essayé de mettre en place cette méthode pour le moment.

J’utilise principalement Zettlr pour ma prise de notes (séminaires, réunions, etc.), mais également comme éditeur markdown, comme pour la rédaction de ce présent billet !

Dessiner avec Diagrams et Inkscape

Il peut m’arriver de faire des schémas, des cartes heuristiques, etc. Pour cela, j’utilise deux logiciels : Diagrams et Inkscape.

Organiser sa bibliographie avec Zotero

Doit-on encore présenter Zotero ? Ce logiciel de gestion bibliographique, dont les mérites ont été maintes fois loués, est un incontournable de tout travail de chercheur. Il permet de classer les références, les ordonnées, de constituer des fiches de lectures, et de citer et exporter facilement une bibliographie, notamment lorsque l’on rédige. Depuis la version 6, on peut même annoter, au sein de ce logiciel, des PDF. Je trouve particulièrement pratique d’avoir au sein d’un même espace l’ensemble de ces fonctionnalités, qui est réellement un « cerveau externe ».

D’un point de vue méthodologique, je fonctionne principalement avec des dossiers. J’ai deux dossiers principaux, « Méthodologie » et « Concepts », avec des sous-dossiers correspondant à une méthodologie ou à un concept. Cette organisation souple permet d’organiser non pas par projet (conférence, thèse), mais permets une réutilisation et des croisements des lectures.

Rédiger avec LibreOffice et Antidote

LibreOffice est bien connu, c’est LA suite bureautique libre. J’apprécie particulièrement le fait que son format est un format ouvert ET normalisé, et sa prise en charge exceptionnelle des différents formats, même privateurs. Une autre fonctionnalité bien pratique, mais malheureusement peu utilisée, est les feuilles de style, permettant d’adapter facilement et rapidement ma mise en page.

Antidote est le seul logiciel non libre et payant de la liste. Il est pourtant un must-have et m’est utile. Ce logiciel permet de corriger l’orthographe, la grammaire, la typographie et donne même des conseils de style ! Il fonctionne tant pour l’anglais que pour le français.

Conclusion : expérimenter et documenter

J’aime expérimenter différents logiciels, tester des usages et des manières de faire. J’essaye à chaque fois de conserver une trace, de « sédimenter » les connaissances à propos d’une pratique ou d’un logiciel, en rédigeant quelques notes, sur un wiki personnel. L’idée est de créer une « base de connaissances » sur laquelle je pourrais me référer lorsque je souhaiterais y retourner.

Néanmoins, cette utilisation est située méthodologiquement, en tant que géographe utilisant des méthodes qualitatives. Il se peut que ces usages évoluent, au fil de mes lectures, discussions, etc. Par exemple, je découvre le principe des « notebook » (RMarkdown, Jupyter, etc.), qui pourra également m’ouvrir d’autres perspectives méthodologiques. Bref, j’expérimente et je m’amuse !


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