Excellence, j’écris ton nom

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Quiconque fréquente le monde académique, même d’un peu de loin, a pu entendre une formule quasiment incantatoire : « excellence ». Il faut être « excellent », nous dit-on. Ce Graal absolu, cet objectif qu’il faudrait absolument atteindre. Les universités sont évaluées, notées, classées. Les dernières politiques publiques universitaires, notamment dans le cadre des « investissements d’avenir », ont donné lieu à une série déclinable à l’infini : il y a les « équipements d’excellences » (Exipex), les « laboratoires d’excellences » (labex), les « universités d’excellence » (Idex, Isite). On doit faire des « thèses excellentes » ou candidater à des « prix d’excellence ». Dans mon université, il y a même des « bourses d’excellences » à destination d’étudiants prometteurs qui pourraient être des candidats à la thèse. Dans le microcosme académique, tout peut et doit être excellent. L’excellence est donc devenue un qualitatif incontournable, une sorte « d’étalon d’or » du monde académique qui serait parfois fétiché (Moore et al., 2017). Mais de quoi est-il le nom ?

L’excellence, outil d’évaluation et de classement

Il faut savoir que ce concept d’excellence n’est pas un qualificatif franco-français. En faisant des recherches (Grossetti, 2017), j’apprends que ce terme est issu des « clusters d’excellence » de la Commission européenne, et est utilisé dans les différents plans d’investissements d’avenir (PIA) depuis 2010 pour financer et structurer la recherche. Il y a donc un intérêt très terre-à-terre là-dedans : l’excellence est utilisée comme moyen de trier le bon grain de l’ivraie, pour permettre de financer ce qu’il vaut réellement la peine.

L’article de (Moore et al., 2017) est très intéressant, car il propose une genèse de la notion d’excellence. Il montre que la notion « d’excellence » est quelque chose de performatif, une construction spécifique à chaque champ disciplinaire, avec des critères variables (notamment bibliométrique : nombre de publications, dans tel type de revues, nombre de citations, etc.). Il montre néanmoins que la notion d’excellence est quelque chose de flou, même pour les chercheurs il est difficile de reconnaître, dans l’absolu, quelque chose d’excellent ou non. Il prend de nombreux exemples : rejets initiaux d’articles de futurs prix Nobel, rejets initiaux d’articles qui vont devenir majeurs dans un domaine, etc. L’article nous montre également les effets pernicieux du système : quand l’excellence perçue est basée sur des données quantitatives (nombre de publications) qui peuvent mener à des inconduites scientifiques (embellissement ou falsification des résultats), illustrant le fameux (et terrible) adage publish or perish. Ainsi il est parfois privilégié la quantité à la qualité. Un autre problème est « l’effet Mathieu » (Grossetti, 2017) ou le « on ne prête qu’aux riches » : finalement, on n’attribue les financements essentiellement à ceux qui en ont déjà.

On voit ici que cette définition de l’excellence mène à des effets pernicieux. Cette excellence telle définie dans le monde universitaire pourrait être formulée de la manière suivante : si on devait classer différents individus (chercheurs, laboratoires, universités), lesquelles arriveraient dans les premiers selon tel ou tel critère ? On voit ici que l’excellence est vue dans une perspective purement concurrentielle : il y a une mise en compétition de différents acteurs pour accéder à une ressource rare (des financements, à travers un capital symbolique d’une forme de reconnaissance de faire partie d’une forme « d’élite »). Cela conduit à une course (les mauvaises langues diraient à l’échalote) aux meilleurs classements. Un exemple est les nombreuses fusions d’universités françaises, dont le but (parfois) avoué est de grimper dans le célèbre classement de Shanghai et dont les résultats font les choux gras de la presse quelques jours par an.

Pour une autre excellence ?

J’aimerais néanmoins changer de perspective en proposant une petite expérience de pensée. Ce jeu est simple, mais fécond en réflexion : quelles seraient les conséquences si on changeait la définition d’excellence ? En effet, dans d’autres domaines, la définition d’excellence change radicalement.

Dans la définition actuelle et présentée précédemment, l’excellence est perçue comme une qualité permettant de démarquer un individu à d’autres individus, sur un certain nombre de critères de comparaison et de classement.

Une définition que j’affectionne personnellement est celle de dépassement de soi : l’excellence n’est plus un outil de comparaison avec d’autres. Ici l’excellence est purement personnelle : on cherche à atteindre un idéal, en travaillant chaque jour pour se perfectionner. Une citation (sûrement apocryphe, je ne trouve pas la source) d’Aristote illustre bien cela : « L’excellence est un art que l’on n’atteint que par l’exercice constant. Nous sommes ce que nous faisons de manière répétée. L’excellence n’est donc pas une action, mais une habitude ». On peut retrouver cette conception de l’excellence dans l’art (comment jouer ma musique de manière à mieux toucher le spectateur ?), l’artisanat (comment faire un produit de meilleure qualité ?) ou dans le sport (comment se dépasser ?). Finalement, chacun peut être excellent dans son domaine.

Comment appliquer cela en sciences ? On peut imaginer s’imposer un questionnement constant sur comment faire de la « bonne science ». Est-ce que nos méthodologies ont été rigoureuses ? Est-ce que j’ai fait preuve d’éthique auprès de mon terrain ? Quels sont les retombés des résultats sur la société ? Certes, cela est plus difficilement quantifiable. Néanmoins, ce travail de « retour d’expérience » et de « contrôle qualité » permet de progresser, tant à l’échelle individuelle que collective. Finalement, n’est-ce pas ça, la vraie excellence, faire chaque jour un peu mieux que la veille ?

En guise de conclusion : faire chaque jour un peu mieux que la veille

Une citation apocryphe (décidément) attribuée à Albert Einstein, résume bien notre propos : « Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide ». Ainsi, je plaide pour qu’on arrête de comparer des choses qui ne soient pas comparables, et qu’on puisse au contraire essayer de s’améliorer, humblement, mais avec ténacité, chaque jour.

GROSSETTI, Michel, 2017. L’« excellence » et ses périmètres. In : [en ligne]. 2017. [Consulté le 30 mai 2021]. Disponible à l'adresse : https://sms.hypotheses.org/10024.

MOORE, Samuel, NEYLON, Cameron, PAUL EVE, Martin, PAUL O’DONNELL, Daniel et PATTINSON, Damian, 2017. « Excellence R Us »: University research and the fetishisation of excellence. In : Palgrave Communications [en ligne]. 19 janvier 2017. Vol. 3, n° 1, 1, p. 1‑13. [Consulté le 7 juin 2021]. DOI 10.1057/palcomms.2016.105. Disponible à l'adresse : https://www.nature.com/articles/palcomms2016105.


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